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L’écologie, qui a évidemment commencé dehors…
« Tout à coup, se profilant derrière le cercle de la lune, en un mouvement très lent d’une immense majesté, un joyau bleu et jaune étincelant a commencé à grandir à l’horizon, une lumière, une sphère délicate de couleur bleu ciel parcourue de veines blanches légèrement tourbillonnantes, s’élevait graduellement comme une perle minuscule en se dégageant d’un immense océan de mystère opaque. Il m’a fallu quelque temps pour prendre pleinement conscience qu’il s’agissait là de la Terre… de notre chez-nous. »
(Edgar Mitchell, membre de l’équipage d’Apollo XIV)
La seule parade sûre.
« Si l’on s’aperçoit que l’adversaire est supérieur et que l’on ne va pas gagner, il faut tenir des propos désobligeants, blessants et grossiers. Être désobligeant, cela consiste à quitter l’objet de la querelle (puisqu’on a perdu la partie) pour passer à l’adversaire, et à l’attaquer d’une manière ou d’une autre dans ce qu’il est : on pourrait appeler cela argumentum ad personam pour faire la différence avec argumentum ad hominem. Ce dernier s’écarte de l’objet purement objectif pour s’attacher à ce que l’adversaire en a dit ou concédé. Mais quand on passe aux attaques personnelles, on délaisse complètement l’objet et on dirige ses attaques sur la personne de l’adversaire. On devient donc vexant, méchant, blessant, grossier. C’est un appel des facultés de l’esprit à celles du corps ou à l’animalité. Cette règle est très appréciée car chacun est capable de l’appliquer, et elle est donc souvent utilisée. La question se pose maintenant de savoir quelle parade peut être utilisée par l’adversaire. Car s’il procède de la même façon, on débouche sur une bagarre, un duel ou un procès en diffamation. Ce serait une grave erreur de penser qu’il suffit de ne pas être soi-même désobligeant. Car en démontrant tranquillement à quelqu’un qu’il a tort et que par voie de conséquence il juge et pense de travers, ce qui est le cas dans toute victoire dialectique, on l’ulcère encore plus que par des paroles grossières et blessantes. (…) Rien n’égale pour l’homme le fait de satisfaire sa vanité, et aucune blessure n’est plus douloureuse que de la voir blessée. (D’où des tournures telles que « l’honneur avant tout », etc). Cette satisfaction de la vanité naît principalement du fait que l’on se compare aux autres, à tout point de vue, mais surtout au point de vue des facultés intellectuelles. C’est justement ce qui se passe effectivement et très violemment dans toute controverse. D’où la colère du vaincu, sans qu’on lui ait fait tort, d’où son recours à ce dernier expédient, à ce dernier stratagème auquel il n’est pas possible d’échapper en restant soi-même poli. Toutefois, un grand sang-froid peut être la aussi salutaire : il faut alors, dès que l’adversaire passe aux attaques personnelles, répondre tranquillement que cela n’a rien à voir avec l’objet du débat, y revenir immédiatement et continuer de lui prouver qu’il a tort sans prêter attention à ses propos blessants, donc en quelque sorte, comme dit Thémistocle à Eurybiade : « Frappe, mais écoute. ». Mais ce n’est pas donné à tout le monde. La seule parade sûre est donc celle qu’Aristote a indiquée dans le dernier chapitre des Topiques : ne pas débattre avec le premier venu, mais uniquement avec les gens que l’on connaît et dont on sait qu’ils sont suffisamment raisonnables pour ne pas débiter des absurdités et se couvrir de ridicule. Et dans le but de s’appuyer sur des arguments fondés et non sur des sentences sans appel ; et pour écouter les raisons de l’autre et s’y rendre ; des gens dont on sait enfin qu’ils font grand cas de la vérité, qu’ils aiment entendre de bonnes raisons, même de la bouche de leur adversaire, et qu’ils ont suffisamment le sens de l’équité pour pouvoir supporter d’avoir tort quand la vérité est dans l’autre camp. Il en résulte que sur cent personnes il s’en trouve à peine une qui soit digne qu’on discute avec elle. Quant aux autres, qu’on les laisse dire ce qu’elles veulent car desipere est juris gentium (C’est un droit des gens que d’extravaguer) et qu’on songe aux paroles de Voltaire « La paix vaut encore mieux que la vérité. » Et un proverbe arabe dit : « À l’arbre du silence est accroché son fruit : la paix. » Toutefois, en tant que joute de deux esprits, la controverse est souvent bénéfique aux deux parties car elle leur permet de rectifier leurs propres idées et de se faire aussi de nouvelles opinions. Seulement, il faut que les deux adversaires soient à peu près du même niveau en savoir et en intelligence. Si le savoir manque à l’un, il ne comprend pas tout et n’est pas au niveau. Si c’est l’intelligence qui lui manque, l’irritation qu’il en concevra l’incitera à recourir à la mauvaise foi, à la ruse et à la grossièreté. » in Dialectique éristique, Arthur Schopenhauer, 1831 |
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Morale et style. – Tout écrivain s’aperçoit que plus il s’exprime avec précision, conscience et sobriété, plus le produit littéraire passe pour obscur, alors que lorsqu’il se laisse aller à des formulations relâchées et irresponsables, il se voit gratifié d’une certaine compréhension. Il est devenu inutile d’éviter les expressions techniques et toutes les allusions à la sphère culturelle qui n’existe plus depuis longtemps. La rigueur et la pureté d’une écriture même extrêmement simple créent bien plus une impression de vide. La négligence qui entraîne à se laisser porter par le courant familier du langage passe pour le signe de la pertinence du contact: on sait ce que l’on veut parce que l’on sait ce que veulent les autres. Considérer l’objet plutôt que la communication au moment où l’on s’exprime, éveille la suspicion: tout ce qui est spécifique, non emprunté à des schémas préexistants, paraît inconsidéré, symptôme d’excentricité, voire de confusion. La logique actuelle si fière de sa clarté a adopté naïvement cette notion pervertie du langage quotidien. Une expression vague permet à celui qui l’entend d’imaginer à peu près ce qui lui convient et ce que, de toute façon, il pense déjà. L’expression rigoureuse impose une compréhension sans équivoque, un effort conceptuel dont les hommes ont délibérément perdu l’habitude, et attend d’eux que, devant tout contenu, ils suspendent toutes les opinions reçues et, par conséquent, s’isolent, ce qu’ils refusent violemment. Seul ce qu’ils n’ont pas à comprendre leur paraît compréhensible; ce qui est réellement aliéné, le mot usé à force d’avoir servi, les touche parce qu’il leur est familier. Il est peu de choses qui contribuent à autant à démoraliser les intellectuels. Celui qui veut échapper à ce sentiment devra voir en chaque défenseur de la communication un traître à celle-ci.
Ventre creux. – Opposer les parlers ouvriers à la langue écrite est réactionnaire. Le loisir, voire l’orgueil et l’arrogance, ont conféré au discours des classes supérieures une certaine indépendance et de l’autodiscipline. Si bien que ce discours se trouve en opposition avec sa propre sphère sociale. Il se retourne contre les maîtres qui en mésusent pour commander et veut leur commander à son tour, refusant de servir plus longtemps leurs intérêts. Mais le langages des assujettis porte uniquement les marques de la domination qui, de plus, l’a privé de la justice promise par un langage autonome, non mutilé, à tous ceux qui sont assez libres pour le parler sans arrière-pensée. Le langage prolétarien est dicté par la faim. Le pauvre mâche ses mots pour tromper sa faim. c’est de leur esprit objectif qu’il attend la nourriture substantielle que lui refuse la société ; lui qui n’a rien à se mettre sous les dents se remplit la bouche de mots. C’est sa manière à lui de prendre sa revanche sur le langage. Il outrage le corps du langage qu’on lui interdit d’aimer, répétant avec une force impuissante l’outrage qui lui fût infligé à lui-même. Le meilleur des parlers du nord de Berlin ou de Cockney, prompt à la réplique et chargé de bon sens, souffre encore de ce que, dans son effort pour surmonter sans désespérer les situations désespérées, il ait du se moquer de soi-même en même temps que de l’ennemi, donnant ainsi raison au train du monde. Si la langue écrite codifie l’aliénation des classes, le redressement ne pourra se faire en régressant vers la langue parlée, mais par la pratique d’une objectivité linguistique des plus rigoureuses. Seul un parler qui transcende l’écriture en se l’intégrant saura délivrer le discours humain de ce mensonge selon lequel il serait déjà humain.
Theodor Adorno 1951. extraits de Minima Moralia
C’est bien aimable à vous, Monsieur le professeur.
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Telle conversation nouée au hasard d’un voyage en chemin de fer et les quelques phrases auxquelles on accepte d’acquiescer pour éviter une dispute, alors qu’on sait très bien que la logique de leurs conséquences est fatalement meurtrière, voilà déjà une première trahison. Aucune pensée n’est immunisée contre les risques de la communication : il suffit de l’exprimer dans un contexte inadéquat et sur la base d’un mauvais consensus pour en miner la vérité. Chaque fois que je vais au cinéma, j’en sors plus bête et pire que je n’y suis entré, malgré toute ma vigilance. Être sociable, c’est déjà prendre part à l’injustice, en donnant l’illusion que le monde de froideur où nous vivons maintenant est un monde où il est encore possible de parler les uns avec les autres ; tel propos affable et sans conséquence contribue à perpétuer le silence, car les concessions que l’on fait à son interlocuteur le rabaissent doublement – en lui-même et en la personne de celui à qui s’adresse à lui. Dans les rapports affables, il y a toujours eu un principe mauvais qui, avec l’esprit égalitaire, se développe dans toute sa brutalité. Être condescendant ou penser qu’on vaut pas mieux que les autres, cela revient au même. En s’adaptant à la faiblesse des opprimés, on justifie dans une telle faiblesse les conditions de domination qu’on présuppose et l’on développe soi-même ce qui faut de grossièreté, d’apathie et de violence pour exercer cette domination. Quand en plus, dans la phase toute récente où nous nous trouvons, la pose condescendante a disparu et qu’on ne voit plus que le rapprochement égalisateur, alors le rapport de classes qui se trouve ainsi nié ne s’en impose que d’une façon autant plus implacable, car le pouvoir reste complètement masqué. Une solitude intangible est pour l’intellectuel la seule attitude où il puisse encore faire acte de solidarité. Dès qu’on rentre dans le jeu, dès qu’on se montre humain dans les contacts et dans l’intérêt qu’on témoigne aux autres, on ne fait que camoufler une acceptation tacite de l’inhumain. Il faut être du côté des souffrances des hommes; mais chaque pas que l’on fait du côté de leurs joies est un pas vers un durcissement de la souffrance.
Minima Moralia, Theodor W. Adorno
Conquête, traditions et petits poulains
« Quand nous regardons la navette spatiale américaine sur son pas de tir, nous pouvons remarquer les deux réservoirs additionnels attachés au réservoir principal. La société Thiokol fabrique ces réservoirs additionnels dans son usine de l’Utah. Les ingénieurs qui les ont conçus auraient bien aimé les faire un peu plus larges, mais ces réservoirs devaient être expédiés par train jusqu’au site de lancement. La ligne de chemin de fer entre l’usine et Cap Canaveral emprunte un tunnel sous les montagnes rocheuses. Les réservoirs additionnels devaient pouvoir passer sous ce tunnel. Le tunnel est légèrement plus large que la voie de chemin de fer. La distance standard entre 2 rails de chemin de fer aux États-Unis de 4 pieds et 8,5 pouces (soit 143,5 cm). Pourquoi cet écartement ? parce que les chemins de fer américains ont été construits de la même façon qu’en Angleterre, par des ingénieurs anglais expatriés, qui ont pensé que c’était une bonne idée car ça permettait d’utiliser également des locomotives anglaises. Pourquoi les Anglais ont construit les leurs comme cela ? parce que les premières lignes de chemin de fer furent construites par les mêmes ingénieurs qui construisirent les tramways, et que cet écartement était alors utilisé. Pourquoi ont-ils utilisé cet écartement ? parce que les personnes qui construisaient les tramways étaient les mêmes qui construisaient les chariots et qu’ils ont utilisés les mêmes méthodes et les mêmes outils. Pourquoi les chariots utilisent un tel écartement ? parce que partout en Europe et en Angleterre les routes avaient déjà des ornières et un espacement différent aurait cause la rupture de l’essieu du chariot. Donc, pourquoi ces routes présentaient-elles des ornières ainsi espacées ? les premières grandes routes en Europe ont été construites par l’empire romain pour accélérer le déploiement des légions romaines. Pourquoi les romains ont ils retenu cette dimension ? parce que les premiers chariots étaient des chariots de guerre romains. Ces chariots étaient tirés par deux chevaux. Ces chevaux galopaient côte à côte et devaient être espacés suffisamment pour ne pas se gêner. Afin d’assurer une meilleure stabilité du chariot, les roues ne devaient pas se trouver dans la continuité des empreintes de sabots laissées par les chevaux, et ne pas se trouver trop espacées pour ne pas causer d’accident lors du croisement de deux chariots. L’espacement des rails américains s’explique parce que deux mille ans auparavant, les chariots romains étaient construits en fonction de la dimension de l’arrière-train des chevaux. »
Et caetera…
repécho in Alternative libertaire – avril 2001