littérature

Un petit dialogue pour aujourd’hui

Temps a passé.

« Je devrais être une vache, je pourrais mâcher les grandes feuilles des arbres ou des plantes.
– Oh mais ce serait plus souvent de l’herbe tu sais…
– C’est vrai, mais bon, quand même… »

Donc cette année un « best of » tel un tel…

Je voulais faire un best of, avec les meilleures découvertes que j’avais faites cette année et qui n’avaient pas été partagées ici. Mais au moment de la sélection, j’ai trouvé que, même si le reste en valait vraiment la peine, ma rencontre avec cette pièce là planait bien au-dessus… 
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à propos de James Ensor

He was much prouder of the rather feeble little polkas and waltzes for military band that he composed than of his amazing paintings, executed in brilliant colours. He had shown us his works, if rather reluctantly – for the idea that someone might want to buy one made him comically anxious. His real dream, as his friends told me, was to sell them at a high price but at the same time to be able to keep them all, because he was as fond of money as of every single one of his own works. Parting from one always cast him into deep despair for a couple of days.

(Stefan Zweig , Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen, 1944)

Sur la mélancolie…

Dans une lettre à Louise Collet, Gustave Flaubert écrira ainsi :
« Depuis que nous nous sommes dit que nous nous aimions, tu te demandes d’où vient ma réserve à ajouter pour toujours. Pourquoi ? C’est que je devine l’avenir, moi. C’est que sans cesse, l’antithèse se dresse devant mes yeux. Je n’ai jamais vu un enfant sans penser qu’il deviendrait vieillard, ni un berceau sans songer à une tombe. La contemplation d’une femme nue me fait rêver son squelette, c’est ce qui fait que les spectacles joyeux me rendent triste et que les spectacles tristes m’affectent peu. Je pleure trop en dedans pour verser des larmes en dehors. »

Une constellation

Philippe Sollers qui cite Pascal Quignard qui cite Donald Winnicott :

« Pascal Quignard écrit : « Winnicott a décrit le ressentiment qu’éprouvent les névrosés à l’encontre des visages qui sont attirants. Tous les corps enchantés de vivre les mettent mal à l’aise. Ils éprouvent de l’aversion à l’encontre des âmes vivaces et bondissantes. Divergence plus vindicative que celle des pauvres contre les riches. Guerre irrémissible qui est celle des analphabètes contre les lettrés. Tout paraît arrogance aux hommes qui sont petits et malheureux. Le malade ne veut à aucun prix que sa maladie si fidèle, si pronominale, l’abandonne ; il se sentirait beaucoup plus rassuré si la santé de chacun était aussi problématique que la sienne. Le laid ne veut à aucun prix que son poids ou sa disgrâce s’évanouissent ; il veut que la beauté soit détruite et que la minceur ou la gracilité n’existent plus sur la surface de la terre.” »

« Si ce n’est toi, c’est donc ton frère… »

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.

Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
– Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
– Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
– Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
– Je n’en ai point.
– C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

Trop rare théâtre…

Dominique Blanc La douleur Bozo

J’ai vu cela il y a longtemps déjà, mais puisque Dominique Blanc a décidé qu’elle jouerait ce
texte toute sa vie (!), vous avez toute sa vie pour le voir. Et c’est vraiment à voir…


















Voici que vient l’été la saison violente

Me voici devant tous un homme plein de sens
Connaissant la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître
Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour
Ayant su quelquefois imposer ses idées
Connaissant plusieurs langages
Ayant pas mal voyagé
Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie
Blessé à la tête trépané sous le chloroforme
Ayant perdu ses meilleurs amis dans l’effroyable lutte
Je sais d’ancien et de nouveau autant qu’un homme seul
pourrait des deux savoir
Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre
Entre nous et pour nous mes amis
Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’invention
De l’Ordre de l’Aventure
Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu
Bouche qui est l’ordre même
Soyez indulgents quand vous nous comparez
A ceux qui furent la perfection de l’ordre
Nous qui quêtons partout l’aventure
Nous ne sommes pas vos ennemis
Nous voulons nous donner de vastes et d’étranges domaines
Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues
Mille phantasmes impondérables
Auxquels il faut donner de la réalité

Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait
Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir
Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières
De l’illimité et de l’avenir
Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés
Voici que vient l’été la saison violente
Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps
O Soleil c’est le temps de la raison ardente
Et j’attends
Pour la suivre toujours la forme noble et douce
Qu’elle prend afin que je l’aime seulement
Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimant
Elle a l’aspect charmant
D’une adorable rousse
Ses cheveux sont d’or on dirait
Un bel éclair qui durerait
Ou ces flammes qui se pavanent
Dans les roses-thé qui se fanent
Mais riez de moi
Hommes de partout surtout gens d’ici
Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire
Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire
Ayez pitié de moi

« La jolie rousse » Guillaume Apollinaire, 1917